Réponse tardive mais réponse quand même

En Savoie, le 14 mai 2020

Cher Monsieur d’Heran,

Je réponds, un peu tardivement, à votre injonction de 1833, qui figure dans votre bel ouvrage, « Du duché de Savoie – État de ce pays en  1833 » ,  mais, depuis que nous avons l’honneur d’être français, nous sommes fort occupés à conserver nos maigres héritages. En effet et malheureusement, le temps passé à déchiffrer les arcanes de la fiscalité et de la législation françaises laisse peu de loisirs aux plaisirs de la correspondance, nous le regrettons.

Aussi, je vous prie de m’en excuser.

Ainsi, donc, je relève que vous nous encouragez, nous autres savoisiens, à vous fournir quelques nouvelles informations ou vous signalez des erreurs malencontreuses, en préface de votre œuvre :

« Avis aux savoisiens

On prie les personnes qui ont quelques nouveaux renseignements à fournir sur la Savoie, ou des erreurs à signaler dans cet ouvrage, d’adresser leurs lettres (franco) à M. P.-P. DARBIER, rue de l’Echiquier, n° 18, à Paris. On les engage surtout à faire tenir leurs lettres aux Bureaux de Postes du territoire français afin d’ôter au Gouvernement sarde l’occasion de les intercepter et le prétexte si recherché d’exercer des mesures arbitraires. »

Votre avertissement sur la censure m’alerte. Il est vrai que je crains peu l’administration sarde mais je suis beaucoup plus inquiet sur les dispositions de la loi Avia, initiée par une charmante dame de ce nom, appartenant à cette quintessence démocratique, la République en Marche, à laquelle certains élus de Savoie se sont ralliés, suivant les bons préceptes que vous nous enseignez dans votre libellé. D’ailleurs, la justesse de vos propos m’amène, en toute impartialité, à ne pas mettre en doute vos assertions si documentées sur l’état physique de la population savoisienne, dont les caractéristiques sont si bien décrites, dès la page 11 :    » Dans les lieux où le sol est très-sec, le tissu cellulaire est affaissé, ce qui fait rentrer le ventre, amincit les mamelles , accourcit la taille, resserre les membres et forme des complexions très-compactes et très musculeuses« , je soulignerai plutôt la véracité de vos propos de la page 10 : « La puberté, sans être précoce, y paraît très-forte, et la disposition à l’amour extrêmement vive , à cause des nombreuses affections de poitrine et celles du système circulatoire qu’on y rencontre« , loin d’en être affecté et dans ma grande simplicité,  je me félicite de cette heureuse disposition occasionnée par ces maux si savoisiens.

Je passe rapidement sur vos observations minutieuses et scientifiques sur les innombrables crétins peuplant notre territoire : « Les corps mous des enfants et des femmes, ainsi que les tempéraments lymphatiques à cheveux blonds, sont ceux qui en sont le plus fréquemment atteints. La figure allongée d’un crétin offre assez exactement, par le rétrécissement du cerveau, l’image du museau d’un singe », pour m’intéresser à vos judicieuses remarques sur l’élevage en Savoie :  » Quand on ne connaît pas l’art d’élever les bestiaux, on ignore celui de les soigner et de les guérir; aussi les plus simples préceptes sur l’art vétérinaire sont-ils en partie ignorés dans la Savoie », or, chacun, ici, est  reconnaissant des bienfaits de la science attachés au plébiscite de 1860, soyez en persuadé.

Je ne continue pas plus mes observations, mais j’espère qu’elles vous feront prendre conscience de vos erreurs, parce que si « errare humanum est« , rappelez-vous que « perseverare diabolicum » et  je crains que cette obstination ne vous conduise, vous et  votre forme éthérée, de ce paradis à l’image de la France, à un enfer tout savoisien.

Malgré la rudesse de mes avertissements, je vous remercie, encore, de vous enquérir des nouvelles de la Savoie.

Je vous en donne bien volontiers.

Sachez que depuis 1860, nous avons eu l’honneur d’être enrôlés dans les guerres de 1870, de 1917, 1939 et celle coloniale d’Algérie, voilà bien de quoi satisfaire nos instincts guerriers, que vous avez si bien analysés : « Le goût que les Savoisiens ont toujours manifesté pour les amusements militaires, quelques danses guerrières que l’on rencontre encore dans quelques communes, prouvent assez qu’ils ont toujours été d’une humeur belliqueuse ».

Quant à l’état de notre territoire depuis 1860, je vous en épargne la description, la vôtre de 1833 est plus élogieuse.

Finalement, Monsieur d’Héran, je ne vous dis pas « à bientôt » parce que, j’ai décidé de vivre encore un peu et, très prochainement, dans une Savoie émancipée, que nous avons la faiblesse de croire apte à se relever. Le terme émancipation vous heurte, peut-être, mais je vous conjure, dans votre éternité, de vous y habituer, sous peine d’en être chagriné.

En Savoie, nous aimons à vivre en paix avec nos voisins, fussent-ils de ce monde ou d’un autre.

Je vous épargne le soin de me répondre, d’autres, au quotidien, tout entichés de l’état de décrépitude de votre pays de naissance, le font fort bien.

Je vous quitte, ou plutôt vos écrits, sans regret ; il n’empêche Monsieur d’Héran, que si je me laissais convaincre, je serais votre très humble serviteur mais l’air des montagnes m’a trop donné le goût de la liberté pour que j’accepte d’en être privé.

Recevez, toutefois, mes salutations savoisiennes.

L F

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One Reply to “Réponse tardive mais réponse quand même”

  1. Quelle amusante réponse à cet espion-mouchard du roi constitutionnel français Louis-Philippe, envoyé en Savoie pour en estimer la valeur, tout en la discréditant pour la dévaloriser ! Son rapport est ignoble du début à la fin, aussi le roi de Savoie-Sardaigne Charles-Albert fit-il écrire une réponse, qui permet de connaître tous les atouts de la Savoie, que la France connaissait déjà fort bien. La réponse d’Auguste Picolet d’Hermillon est impeccable et bien envoyée elle aussi…
    Voici cet ouvrage, la vraie version sur la Savoie en 1833 :
    https://books.google.ch/books?id=gGAtAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
    « Etat actuel de la Savoie. Frontières naturelles, nationalité des peuples, en réponse à un livre de MM d’Héran et Darbier intitulé « De la Savoie en 1833″ », Auguste Picolet d’Hermillon [chez Abraham Cherbuliez, libraire, Genève, 1833]

    Le baron Auguste Picolet d’Hermillon a été le dernier syndic du conseil communal et aussi le premier maire de Saint-Genix après l’annexion de la Savoie par la France. Sa tombe et celle de son épouse sont situées tout près du 2e portail en venant du bourg. Ce sont probablement les plus anciennes tombes en pierre du cimetière de St-Genix. Il reste aussi une place à son nom, la place Picolet.
    Inscriptions sur les tombes
    • Pour le baron :
    Ici repose le baron Auguste Picolet d’Hermillon, maire de Saint-Genix, chevalier de la Légion d’honneur et de l’ordre des Saint-Maurice et Saint-Lazare, ancien consul général de Sa Majesté le Roi de Sardaigne à Barcelone, ancien membre du conseil général de la Savoie, décédé à Saint-Genix le 6 juin 1872, dans sa 74e année. Priez pour lui.
    • Pour la baronne :
    Ici repose la baronne Picolet d’Hermillon, née Clerguet de Loysel, décédée le 19 janvier 1878. Elle a passé en faisant le bien. Priez pour elle.
    https://saint-genix-sur-guiers.net/wp-content/uploads/2011/10/Bulletin_Municipal_decembre_2010.pdf

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