UNE MODESTE PROPOSITION

UNE MODESTE PROPOSITION

impots

Il est une crainte commune aux hommes, depuis l’émergence de l’État. Est-ce celle de la mort ? De la guerre ? De la faim ? Non : il s’agit de la crainte de l’impôt.

 

On nous reprochera peut-être de forcer le trait. Mais il suffit de regarder, distraitement, la grande fresque de l’Histoire pour réaliser que la peur, voire la haine du fisc est ancienne. Il y a trois millénaires, les prophètes d’Israël lançaient l’anathème contre les impôts d’Achab, qui enrichissaient les nobles au détriment de la masse des paysans. En 1789, la lutte contre les privilèges, essentiellement fiscaux, était au cœur de la Révolution – ce qui pourrait expliquer l’attachement français à la fable de l’égalité territoriale. Ici, en Savoie, la lutte contre l’impôt est presque une tradition : il n’y a pas bien longtemps encore, les « gabelous » tentaient d’éluder des impôts sur le sel dont ils ne voyaient pas l’intérêt, mais qui saignaient à blanc leurs familles.

 

Pourtant, le principe animant l’impôt ne parait pas mauvais : il s’agit de confier à une institution la charge de prélever la richesse des particuliers, pour ensuite la redistribuer plus équitablement ou l’investir dans des biens communs. On pourrait parler, en d’autres termes, d’une organisation du don par l’Etat. Payer ses impôts, a priori, ne peut que profiter au citoyen. Alors, pourquoi tant de haine ?

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LA HAINE DE L’IMPÔT A L’AUNE DES ÉCARTS DE RICHESSE

On assiste à deux attitudes, quelque peu paradoxales. Les uns paient leurs impôts, non sans s’en plaindre bien sûr, et vivotent ensuite avec ce qui reste de leur paie. En général, c’est le cas de ceux d’entre nous qui touchent de bas ou de moyens salaires. Au contraire, il est des personnes qui non seulement protestent avec véhémence contre le système fiscal, mais en plus fraudent le fisc, le plus souvent par l’évasion fiscale, n’acquittant donc pas leur devoir de solidarité envers les autres citoyens.

Il faut l’admettre, les impôts nous écrasent. On connait la pression fiscale qu’exerce l’Etat français, véritable boulet au pied des entrepreneurs et des simples particuliers. Par conséquence, on peut comprendre – ce qui ne signifie pas « approuver » – qu’un négociant « oublie » de rendre le ticket de caisse, ou qu’un artisan à son compte pratique l’optimisation fiscale pour ne pas faire faillite. Mais il y a des personnes qui gagnent des dizaines de milliers, voire des millions (autant dire : des sommes que nous ne pouvons pas même imaginer) et qui poussent des cris d’orfraie quand on prétend imposer leur patrimoine. Alors même que l’argent qui leur reste, une fois leurs impôts payés, leur permet de mener une existence des plus agréables !

Nuançons notre propos, un peu simpliste : il n’y a pas de correspondance systématique entre richesse et évasion fiscale, de même qu’avoir un bas salaire n’implique pas qu’on paye honnêtement ses impôts. Néanmoins, l’influence du niveau de richesse sur le comportement face à l’impôt semble incontestablement avérée.

 

AUX ORIGINES DE L’HOSTILITÉ A L’IMPÔT

De toute évidence, il y a une inadéquation entre le principe, positif, de l’impôt et son application. Cette inadéquation provoque la haine de l’impôt. Il faut déterminer ce qui ne marche pas lorsqu’est appliqué l’impôt, comprendre quel est le défaut qui gâte cet outil nécessaire.

 

  1. L’homme, un être désespérément dépourvu de générosité ?

Ceux qui rusent pour frauder le fisc manquent peut-être de générosité. Bien qu’ils sachent que leurs impôts sont nécessaires pour la marche de l’Etat et que l’argent récolté profitera à la collectivité, ils refusent de donner. Mais, en bonne logique, il faudrait alors conclure à une générosité instinctive et plus développée chez les personnes aux revenus plus modestes, qui paient tous leurs impôts. Or, cette distinction entre fraudeurs-égoïstes/contribuables-altruistes est bancale car tous, pour ce qu’on en sait, protestent contre l’impôt. Il nous faut donc envisager que les contribuables honnêtes, s’ils devaient tout d’un coup gagner plus d’argent et accéder à la catégorie supérieure, évaderaient le fisc : s’ils ne le font pas tout de suite, c’est uniquement parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Deux possibilités se présentent alors : soit l’aisance matérielle a un effet corrupteur ; soit il y a un manque de générosité intrinsèque et directement proportionnel à sa richesse chez l’homme. On ne peut contrer cette dernière hypothèse autrement qu’on lui opposant divers cas de générosité exemplaire – mais une multitude d’exemples, ça ne fait pas un contre-argument.

 

Jouons quand même la carte de la foi en l’Homme. Quelle autre cause pourrait provoquer l’hostilité à l’impôt ?

 

  1. Une indignation légitime face à la privation de responsabilité

Une idée nous est venue en lisant La désobéissance civile, un livre de Thoreau, philosophe américain du  XIXe siècle. A l’époque où écrit Thoreau, les Etats-Unis étaient entrés en guerre contre le Mexique, auxquels ils avaient enlevé de grandes étendues de territoire, dont le Texas ; de plus, les Etats du sud de l’Union étaient esclavagistes. Thoreau était à la fois un ardent antimilitariste et un abolitionniste notoire. Or, il se rendit compte qu’en payant simplement ses impôts il cautionnait et la guerre et l’esclavage : une fois que le percepteur lui avait pris son argent, rien ne lui permettait de connaître l’usage qui allait en être fait. Allait-il servir à financer des écoles, ou bien à rémunérer un député esclavagiste, ou encore à financer l’achat d’un canon ? On voit ainsi que le péché originel de l’impôt est sa totale opacité. Les gouvernements auront beau publier des budgets détaillés, rien ne nous permet de savoir où finit, exactement, notre argent. Nous en perdons complètement le contrôle une fois qu’on l’a donné à l’Etat. D’où l’impression que l’impôt est un vol, et que les services publiques sont un bien tombé du ciel. Un homme ne peut que se sentir révolté face à cette situation : l’antimilitariste dont les impôts soutiennent la guerre au Mali, le Savoisien qui paie le barbouze qui l’espionne… Autant de situations où des hommes se retrouvent privés de leur responsabilité. Certains déterminismes semblent avérés, qu’ils soient génétique, familial… Mais, justement à cause de cette profonde irresponsabilité qui en découle, irresponsabilité qui est une absence de liberté, inhérente à notre condition, il faut tenter de nous rendre maîtres de notre destin. Dans l’hostilité à l’impôt tel qu’il est pratiqué, on pourrait voire une preuve de ce besoin métaphysique de responsabilité qu’a l’homme.

 

Voici notre propos on ne peut plus nuancé. Certes, l’évasion fiscale nous révulse. Mais à son origine, il pourrait y avoir quelque chose de très noble : une lutte (inconsciente ?) pour la liberté, une révolte contre notre condition.

 

On arrive maintenant au nœud du problème. Quoi qu’on puisse en penser, une société ne peut que gagner à l’institution de l’impôt. Il s’agit d’un correctif précieux, qui peut faciliter la vie de tous. Seulement, il s’agit de le repenser, pour qu’il ne constitue plus une atteinte à la responsabilité humaine. Comment résoudre la contradiction de l’impôt ?

Thoreau choisit un moyen radical : la cessation de paiement des impôts, à l’exception de ceux locaux qui ne seront pas dépensés en fusils. Il a courageusement mis en application cette solution et a été emprisonné en conséquence. Ceux qui évadent le fisc proposent aussi une solution ; mais c’est la solution des tièdes, des timorés, qui tentent de sauver leur magot sous le manteau. S’ils décidaient simplement de ne pas payer les impôts, s’ils assumaient leur décision, quitte à finir en prison, on les acclamerait en héros ; mais, actuellement, ils galvaudent de grands sentiments. Leur lutte pour la liberté devient une croisade de l’avarice.

 

Notre objectif à nous, on l’aura compris, est de sauver l’impôt. Conséquemment, aucune de ces pratiques ne nous satisfait. Certes, la cessation de paiement de l’impôt par un nombre important de citoyens pourra être un moyen en vue de la mise en place d’un impôt participatif et responsabilisant. Cela ne saurait néanmoins être autre chose qu’une étape, un passage transitoire vers une nouvelle forme d’impôt.

 

L’IMPÔT 100% TRANSPARENT

D’autres y ont peut-être pensé avant nous, d’autres y penseront après, n’ayant pas lu cet article ; voici, quoi qu’il en soit, notre modeste proposition :

 

  1. Institution du fédéralisme et répartition des compétences fiscales

Il faudra tout d’abord délimiter très précisément les compétences fiscales de l’Etat, de la région, de la commune. La taille des régions devra être adaptée aux réalités locales, au sentiment d’appartenance des gens, et non à des impératifs commerciaux. Une région, ce n’est pas une grande entreprise, à laquelle on attribue des frontières et un nom qui « font vendre ». C’est le deuxième cadre dans lequel se pensent les gens, le premier étant celui de la terre natale – au sens strict de la ville, du village auquel on est attaché, souvent celui où l’on a grandi. Ce redécoupage, accordant une grande importance à l’échelon local, est essentiel : en effet, d’un côté on donne plus facilement pour une entité dans laquelle on se reconnaît ; et de l’autre côté, ainsi, il sera possible de proposer des projets d’impôt précis, qui auront une répercussion immédiate sur la vie des gens.

 

  1. Mise en place d’un « impôt à la carte »

Il faudra ensuite que chacune de ces trois entités annonce très précisément les secteurs dans lesquels elle entend investir l’argent perçu, en fixant un plancher minimum pour chacun de ces secteurs, qui pourront être, pour une commune par exemple : entretient des routes, transports en commun, cantines des écoles…

Chaque citoyen devra verser une somme donnée, qu’il devra dépenser intégralement ; néanmoins, il pourra répartir son argent dans les différents secteurs proposés. Par exemple, attribuer 30% de ses impôts aux écoles, 10% à la voirie, 15% à la police municipale, etc. Il risque alors d’y avoir des secteurs déficitaires, qui n’atteignent pas le plafond minimum requis. Dans ce cas, on pourrait prélever d’autres secteurs les sommes nécessaires pour atteindre ce plafond.

On voit clairement à quoi cela peut mener : la somme nécessaire à l’entretien des députés ou de l’armée pourrait arriver péniblement au minimum requis, et celle attribuée aux transports en commun dépasser largement le plancher, permettant de baisser les prix des tickets ou de créer de nouvelles lignes. Grâce à ce système, le chef d’entreprise pourra investir dans la construction de routes, ou dans la recherche ; le caissier de supermarché pourra investir dans les transports en commun, le reboisement de son quartier, pourquoi pas le cinéma gratuit !

 

  1. Deux compléments : projets privés et référendum populaire

Nous proposons deux compléments à cet impôt « classique ». Premièrement, des privés pourraient présenter des projets ponctuels précis, demandant à ce qu’ils soient soutenus par la collectivité : centre d’accueil pour les réfugiés, service d’assistance aux personnes âgées, rénovation d’une promenade, extension de l’éclairage municipal… Ces projets seraient validés par les collectivités qui en vérifieraient la faisabilité et ensuite présentés parmi les secteurs d’impôts. Deuxièmement, des référendums d’initiative populaire pourraient avoir lieu afin d’ouvrir, ou de fermer des secteurs d’activité. On pourrait imaginer que les Lyonnais noyés sous les particules fines votent pour l’ouverture d’un secteur d’impôts destiné à rendre gratuit le métro ; ou bien que les habitants de Thonon-les-Bains votent l’ouverture d’un secteur d’impôts destiné à la création de places de parking gratuites ; ou encore que les habitants de Savoie votent pour payer leurs politiciens au SMIC.

L’outil informatique pourrait permettre la mise en place, à moindre coûts, de ce système complexe. On pourrait créer un logiciel recensant tous les secteurs d’imposition, qui seraient classés par entités perceptrice (Etat, région, commune). Un baromètre pourrait permettre de voir combien d’argent à déjà été versé dans chaque secteur.

 

  1. Appel à contribution

Actuellement, nous voyons deux défauts à ce système. Si des lecteurs devaient en voir d’autres, ou penser à des améliorations, leurs propositions seront les bienvenues : car une grande idée ne pousse jamais dans une seule tête ; il faut qu’elle se heurte au feu de l’opposition pour être forgée solidement. Et c’est en étant longtemps manipulée, échangée, discutée qu’elle s’affine.

Tout d’abord, il s’agit d’un système chronophage : il faudra du personnel pour le faire marcher, même si le fonctionnement informatique peut permettre d’importantes économies, et surtout il faudra que le contribuable prenne le temps de choisir où placer son argent. Mais est-ce un grand sacrifice que de passer un après-midi dans le mois à répartir ses impôts, si l’on y gagne la liberté ?

Ensuite, il faudra que tout le monde joue le jeu ; et c’est là que l’affaire se corse, pour deux raisons. Tout d’abord, si l’hypothèse d’un manque foncier de générosité chez l’homme devait s’avérer vraie, l’hostilité aux impôts perdurerait. Or, ce serait contradictoire de prôner un système producteur de liberté pour ensuite contraindre par des mesures répressives les gens à s’y plier. Deuxièmement, quand bien même seule une minorité frauderait, il faudrait mettre en place une répression très sévère de cette pratique. Car rendre les gens responsables, cela a un côté positif : ils y gagnent leur liberté ; mais aussi un côté négatif : une personne qui ne jouerait pas le jeu, qui évaderait quand même le fisc, n’aurait plus aucune excuse, aucune justification à son infraction. Elle témoignerait d’un manque d’intérêt pour la collectivité appelant à son exclusion de celle-ci.

 

Restent à préciser enfin des points importants tels que : l’intégration des taxes à ce système (qui ne concerne, tel qu’on l’a présenté, que les impôts personnels et pas, par exemple, la TVA) ; la place qu’y auraient les mécanismes de redistribution (allocations chômage, retraite, etc.) ; la possibilité de l’utiliser comme socle d’un revenu de base…

 

ET LA SAVOIE DANS TOUT ÇA ?

On l’aura remarqué : notre proposition s’inscrit dans une hypothèse politique très particulière, qui en fera peut-être bondir au plafond certains, dont les bras tomberont. C’est celle de la fin de la France jacobine, au profit d’une France fédérale accordant des statuts spéciaux et une grande liberté d’action aux régions historiques et/ou voulues par leurs habitants : Bretagne (nantie de Nantes), Savoie, Occitanie, Pays Basque, Corse…

 

Cette option politique peut paraître loin de se réaliser. Le centralisme français, à en croire l’opinion courante, est en place depuis trop longtemps, les gens y sont habitués, les politiciens aussi, qui risqueraient de perdre leurs prébendes si un système nouveau, plus participatif apparaissait, remettant en cause leur utilité. Néanmoins, actuellement, forces de l’émancipation s’organisent. Dans ce contexte, se battre pour que la Savoie et les autres nations enchaînées au joug parisien obtiennent un statut spécifique semble être l’attitude la plus réaliste. D’un côté le statut est, pour l’heure, plus accessible que l’indépendance. D’un autre côté, nous aurons davantage les moyens de faire pression sur Paris et gagner une vraie autonomie que si les Basques, les Bretons, les Alsaciens s’émancipent aussi et luttent de concert avec nous. La lutte contre le centralisme pourrait être le creuset d’un nouveau sentiment de solidarité : une solidarité plurinationale, et non pas une solidarité nationale frelatée imposée par la force des baïonnettes et de l’épuration linguistique. Les nations de France pourraient devenir un exemple pour l’Europe et pour le monde.

 

Mais au cas où les politiciens ne nous écouteraient pas, au cas où les citoyens d’outre-Rhône seraient trop absorbés par leurs querelles de ménage pour se soucier de leur propre bonheur, au cas, en somme, où l’on se heurterait à trop de résistances sur la voie moyenne de l’autonomie… Eh  bien, il ne nous restera qu’une solution : obtenir l’indépendance (par exemple, en cessant massivement de payer nos impôts) et accomplir les réformes urgentes chez nous, sur le sol d’une Savoie libre, fédérale, démocratique.

 

***

 

C’est là une proposition comme il  pourrait y en avoir d’autres ; elle répond à un problème particulier qui se pose à nos sociétés. On espère néanmoins deux choses : qu’elle soit réellement révolutionnaire, contrairement aux propositions datées de certains politiciens aux dents longues, actuellement en marche ; et qu’elle mette en lumière un principe que nous pensons être au fondement même du fédéralisme, à savoir la responsabilité individuelle.

3 Replies to “UNE MODESTE PROPOSITION”

  1. Rappelons simplement qu’avant l’annexion un Savoisien payait 3 fois moins d’impôts qu’un Français. Dans le même temps le trésor du Royaume Sardaigne-Savoie était de 48.Millions de Francs or, alors que l’Etat Français était DEJA à la ramasse et vivait de l’emprunt …….Cherchez l’erreur .

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