L’enseignement français… n’enseigne rien

Le bac, c’est tellement obligatoire de nos jours qu’il est devenu une formalité. C’est peut-être ce qu’aurait écrit Pagnol, s’il avait eu à mettre en scène les amourettes d’un Marius et d’une Fanny savoisiens au bords du lac Léman.
C’est aussi la réflexion qu’inspirent les quelques témoignages que l’on a pu avoir sur les cérémonies de remise des diplômes organisées par certains établissements chablaisiens. Le dilettantisme de l’administration y a été, paraît-il, patent. Pour tout dire, elles ont été expédiées aussi rapidement et discrètement que l’enterrement d’un suicidé au XVI siècle.
Certes, on peut se demander où sont les remises de diplômes d’antan, les petits baccalauréats de nos grands-pères. Toutefois, un autre problème que celui de la dévalorisation du baccalauréat par nos voisins français a été mis en évidence, lorsqu’un certain établissement a publié la plaquette annuelle vantant la qualité de la formation qu’il dispense. Une page y était consacrée aux résultats des élèves au bac 2014, page sur laquelle figuraient des photographies de toutes les sections – sauf de celle Littéraire. Pourquoi cet oubli coupable ?
C’est là une histoire complexe, qui ne concerne en théorie que nos voisins français mais dont nous faisons aussi les frais, étant donné qu’ils occupent incidemment la Savoie. Il se trouve que, fidèle à sa devise d’après laquelle il faut diviser pour mieux régner, l’administration parisienne décida de mettre en place une foultitude de bacs différents. Pour cela, on créa des ersatz des baccalauréat (bac pro, bac STMG et consorts) et on scinda ce qui était désormais appelé le baccalauréat « général » en trois sections : Économique (ES), Littéraire (L) et Scientifique (S). L’objectif affiché du pouvoir central était sans doute de contrôler une population dont un tiers sache remplir sa déclaration d’impôts, un autre tiers rédiger une liste de courses et le dernier tiers résoudre des équations du deuxième degré. Ce serait en effet dangereux que de former des « hommes universels » comme le préconisaient les humanistes de la Renaissance. D’ailleurs, que de dégâts pourraient faire un Rabelais ou un Érasme savoisiens !
Or,  la direction de certains lycées a mis progressivement en place une ségrégation des littéraires. Ceux-ci sont désormais ostracisés car on considère qu’ils constituent la lie du lycée. On évite donc de les montrer en public, comme s’ils étaient un service à thé ébréché qu’on peut utiliser en famille, mais qu’il faut cacher quand on reçoit du beau monde. Tout cela est fait avec la bénédiction de l’Education nationale et de l’opinion publique.
Au bout de trois conseils de classe auxquels il m’a été donné d’assister en seconde, en ma qualité de délégué de classe, il m’a été donné de saisir pour quelle raison la L a si mauvaise presse. La direction semble avoir décidé que la filière L est une léproserie où caser les élèves qu’on ne peut empêcher de rester dans le « général », mais qui constituent une menace car ils pourraient faire baisser le taux de réussite des lycées. Il est vrai que les travaux de messieurs Hitler, Staline et associés nous ont appris que les statistiques comptent davantage que les individus. Ce théorème ne s’applique cependant que dans les dictatures et le lycée n’est pas censé en être une.
Laisserons-nous l’Éducation Nationale mettre en place ces mesures d’apartheid en Savoie ? Accepterons-nous qu’une administration incompétente s’applique à « enténébrer nos esprits » ?
Eh bien non, nous autres Savoisiens continuerons à réfléchir ! Le morcellement et l’appauvrissement de la pensée auxquels nous mènent les Français ne passeront pas. Il faut dès maintenant redorer le blason des études littéraires et défendre la création d’un « tronc commun » rationnel dans les trois filières, où par exemple l’enseignement des mathématiques ne soit pas une option pour les littéraires.
Il se trouve encore, heureusement, des hommes et des femmes de bonne volonté disposés à défendre la cause des Lettres, ce « beau lac de lumière », bien plus vaste que le Léman, que Jaurès voulait voir briller à l’horizon des élèves.
Messieurs de l’Éducation Nationale : 0/20. Vous êtes recalés et exclus de Savoie !