« Il signor Raould »

« Il signor Raould »

Au temps de la seconde guerre mondiale où les troupes italiennes occupaient la Savoie, le couvre-feu sévissait. Mon grand-père qui se remettait péniblement de ses blessures de guerre, ayant sauté avec son cheval sur une mine, n’était pas homme à se laisser dicter sa vie, même par les troupes d’occupation. Il descendait donc, accompagné de l’ainé de ses fils âgé de 6 ou 7 ans,  de sa montagne,  que vous connaissez, si vous êtes, comme nous, un montagnard, mais je m’égare, aujourd’hui plus personne ne connait personne.

Arrivés à Faverges, tout près de la ferme,  ils tombent sur une patrouille qui les arrête. Le chef de patrouille s’avance, mon grand-père flegmatique attend, mon père est certainement inquiet mais je n’en sais rien, il était d’une autre trempe que moi.

Enfant né peu avant la guerre, il en avait  subi les affres et son père parti, sa mère, son frère plus jeune et lui dans le plus grand dénuement n’avaient  dû leur salut qu’à leur dernière vache, Rosette que leur mère avait bâtée comme un mulet pour traverser le col d’Orgeval et trouver refuge dans leurs Bauges natales. En 42, la famille s’est reconstituée et il faut survivre.

L’homme à la plume au chapeau va donc demander le laisser-passer que mon grand-père n’a pas. Il s’avance, cherche à distinguer l’homme droit qui se tient face à lui, il va ordonner de l’arrêter. Mon grand père s’attend à ce qu’on  le saisisse et alors, le citoyen, italien depuis seulement 1861, s’écrie avec un véritable élan du cœur et dans sa langue chantante, « il signor Raould » et les voilà de s’étreindre comme il est de coutume chez les alpins en s’attrapant mutuellement au niveau des bras.

Evidemment, ils se connaissaient, n’étaient-ils pas  tous deux  des anciens états de Savoie, habitués à se retrouver et à commercer ? Comme vous en vous en doutez et qu’on était à coté de la maison, il y eu fortes libations et des souvenirs à marquer trois générations.

Aujourd’hui, autres temps autres mœurs, je roule pour arriver avant 21 h au lieu où la belle-fille du « signor Raould », ma mère, m’attend. Je sais que si on m’arrête, il n’y aura pas de marques de reconnaissance de vigiles empressés à me verbaliser,  je suis étranger dans mon pays. Alors à quoi bon leur parler de Jean-louis, de Jean-François, de Victor, de notre pays, de notre solidarité, de notre foi, 1860 les a anéantis.

Ma seule récompense sera le sourire de celle pour qui je viens et la conviction, que de là où ils sont, « il signor Raould » et son ami du Piémont regardent avec, peut-être, un peu d’amusement nos envahisseurs actuels embarrassés par notre combat, si légitime, pour l’émancipation ce pays que nous aimons.

F L

One Reply to “« Il signor Raould »”

  1. Quel bien beau récit ! Emouvant et vivant !
    La comparaison entre ce vécu d’autrefois et la réalité actuelle, si bien amenée, est terriblement parlante…

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